230ème anniversaire de la première abolition de l’esclavage


Le 4 février 1794, « l’esprit de la liberté et de l’égalité a soufflé sur les représentants du peuple français ».
Mis à jour le mardi 27 février 2024

230ème anniversaire de la première abolition de l’esclavage

Le 4 février 1794, « l’esprit de la liberté et de l’égalité a soufflé sur les représentants du peuple français ».


Le 230ème anniversaire du 4 février 1794,  journée historique au cours de laquelle fut abolie pour la première fois l’esclavage, a été célébré le 6 février 2024 à l’Hôtel de Lassay à l’Assemblée nationale sous la présidence de Yael Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée.
L’ancien Premier Ministre et ancien maire de Nantes, Jean Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage et Frédéric Régent, maître de conférence à l’université Paris I et conseiller scientifique du Mémorial national en hommage aux victimes de l'esclavage ont rappelé à l’assistance notre devoir de mémoire pour cette « grande journée où l’esprit de la liberté et de l’égalité a soufflé sur les représentants du peuple français ». 

Voici la contribution de Jean-Marc Ayrault, suivie du rappel historique des colonies françaises et de l’esclavage par Frédéric Régent


« La loi du 21 mai 2001, par laquelle la France a reconnu l’esclavage et la traite coloniale comme des crimes contre l’humanité nous rappelle la blessure que l’esclavage a infligée à notre conscience de Françaises et de Français.
Mais l’esclavage nous invite aussi à nous souvenir des figures qui s’y sont opposés, et des moments où leurs idées ont triomphé.

« Nous célébrons le 16 pluviôse an II - 4 février 1794 - lorsque la Convention abolit l’esclavage dans les colonies françaises, sans délai ni indemnités pour les colons.

« C’était alors l’aboutissement d’un long chemin qui ne fut rendu possible que parce que, en 1791, les esclaves de Saint-Domingue avaient décidé de se soulever. Moins de trois ans plus tard, le 4 février 1794, la Révolution mettait enfin en accord ses actes dans les colonies avec les principes universels qu’elle s’était donnée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

« Le 4 février 1794 est donc une date fondamentale de l’histoire de la France et du monde. Elle reste pourtant presque méconnue de nos compatriotes.

Cette commémoration  nous rappelle plusieurs choses importantes :

- La première, c’est que nos principes les plus fondamentaux ont été forgés dans les combats contre l’esclavage et le préjugé de couleur : il faut se souvenir que Mirabeau, le 21 août 1789, au moment même du vote de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, écrit que ce texte va renverser l’esclavage et les discriminations contre les citoyens noirs des colonies ; nous savons qu’il faudra encore cinq ans, et une révolte d’esclaves, pour que cette affirmation devienne réalité, y compris dans les colonies.
Mais les mots de Mirabeau montrent que, depuis l’origine, la lutte contre le racisme et les discriminations faisait partie du projet de la Révolution ;

- La deuxième chose que ce 4 février 1794 nous rappelle que cette avancée fut une décision parlementaire.
Pour arracher des droits, il faut parfois se soulever ; mais pour consacrer ces droits, il faut la loiEt pour les droits les plus fondamentaux, il faut la loi fondamentale, notre Constitution, réceptacle de ces combats qui ont été menés sous la Révolution, en 1848, en 1870, à la Libération
Prenons garde à ce que la loi fondamentale n’en devienne pas le tombeau, si elle devait être utilisée non plus pour garantir la liberté, l’égalité et la fraternité, mais pour altérer ce que nous sommes, et ce que nous devons rester : une démocratie forte, une nation lucide sur son passé, le pays des droits de l’homme ;

- Enfin nous est rappelé  l’importance que ce passé occupe dans notre histoire, de Louis XIV à nos jours et ses conséquences ont été immenses. Aujourd’hui, son empreinte continue de nous interpeler : ce sont ces stéréotypes racistes qui nourrissent les discriminations et qui, en France, sont issus du temps de l’esclavage.
Mais ce sont aussi ces idées généreuses d’une liberté et d’une égalité universelles, qui sont nées précisément en réaction aux injustices de l’esclavage.


« Notre monde est le fruit de ces contradictions, et c’est la raison pour laquelle il nous faut à la fois raconter cette histoire dans tous ses aspects, sans rien masquer de ses zones d’ombre, et trouver le chemin de l’unité en nous souvenant de ces moments où, face aux injustices, des voix se sont dressées, celles de l’Abbé Grégoire, d’Olympe de Gouges ou de Lamartine. Personne n’effacera Colbert, Louis XV ou Napoléon. Cela n’aurait aucun sens.

« Mais ce qui est effacé aujourd’hui de notre récit national, c’est la mémoire du 4 février 1794 ; ce sont les mots de Mirabeau ; c’est aussi le souvenir de Cyrille Bissette adressant une pétition à la Chambre des Députés en 1832 pour demander l’abolition de l’esclavage. C’est la façon dont le long combat contre l’esclavage a servi la construction de notre République.

« Il y a deux ans, a été inaugurée à l’Assemblée nationale une salle Aimé Césaire, écrivain et parlementaire ; en se souvenant de son grand discours contre le colonialisme, cette inauguration a reconnu ses combats humanistes et républicains pour l’égalité réelle dans les outre-mer, contre le racisme et pour la reconnaissance de la mémoire de l’esclavage. Mais il y a encore à faire !

« La première abolition, l’une des plus grandes décisions parlementaires de notre histoire, a sa place au Parlement. Elle mérite d’y être honorée, et quel meilleur symbole pour le faire que d’y être honorée à travers la figure d’un homme qui avait connu l’esclavage dans sa chair et qui a été un acteur de sa destruction, à la tribune de cette Assemblée…Jean-Baptiste Belley, premier député noir du monde occidental, officier de la Révolution à Saint-Domingue, qui a voté l’abolition le 4 février 1794 avec ses compatriotes Mills et Dufay.

« Une proposition a été faite en ce sens. Qu’à travers lui, ce 230ème anniversaire de la première abolition, événement inouï de notre Histoire trouve enfin une reconnaissance au sein de l’Assemblée Nationale…parce que c’est notre Histoire. »

Jean-Marc Ayrault
Ancien Premier ministre
Président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage



La Révolution française, la fin du préjugé de couleur et l’abolition de l’esclavage

 Le 4 août 1789, la Constituante abolit les privilèges et le 26 août adopte la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, préambule de la Constitution. Elle affirme la liberté et l’égalité de tous devant la loi. Toutefois, le lobby des planteurset négociants, ainsi que les assemblées coloniales locales souhaitent maintenir l’esclavage et le préjugé de couleur. A Paris, Julien Raimond et Vincent Ogé, deux libres de couleur de Saint-Domingue, reçoivent le soutien de la société des Amis des Noirs. Les  mesures contradictoires prises par l’Assemblée constituante sur les libres de couleur conduisent à plusieurs révoltes à Saint-Domingue, en 1790 (avec Vincent Ogé), et surtout, en juillet-août 1791. Le 28 mars 1792, espérant mettre fin aux troubles de Saint-Domingue, l’Assemblée législative accorde enfin l’égalité des droits aux libres de couleur. Cette mesure permet à Jean-Baptiste Belley, noir affranchi, de devenir officier de l’armée qui se met au service des commissaires civils chargés de la faire appliquer.

En 1793, l’Espagne, en guerre contre la France, soutient les esclaves insurgés à Saint-Domingue en leur fournissant des armes et en élevant au grade de lieutenant-général un noir affranchi, un des chefs des insurgés, Toussaint Louverture. Face à une révolte généralisée, l’envoyé de la République,Sonthonax, décide d’y abolir l’esclavage, en août 1793. Il envoie à la Convention trois députés, dont Jean-Baptiste Belley, qui obtiennent l’abolition de l’esclavage et la citoyenneté pour les esclaves de toutes les colonies françaises, le 4 février 1794. Outre Saint-Domingue, la mesure est appliquée en Guadeloupe et en Guyane.

Le rétablissement de l’esclavage et du préjugé de couleur l’indépendance d’Haïti

En décembre1799, Napoléon Bonaparte dote les colonies de lois spéciales par la nouvelles Constitution de frimaire an VIII. À Saint-Domingue, Toussaint Louverture, devenu général de l’armée française après son ralliement à la République en 1794, prend le pouvoir sur l’ensemble de l’île et proclame, en 1801, une constitution autonomiste. En octobre 1801, les officiers de couleur de Guadeloupe, pour en finir avec les vexations qu’ils subissent, chassent le capitaine général Lacrosse, envoyé de Bonaparte. Deux expéditions sont dépêchées à Saint-Domingue (dirigée par Leclerc) et en Guadeloupe (commandée par Richepance). Après d’âpres combats, Toussaint Louverture se rend, puis est déporté en France, le 6 mai 1802. Ce même jour, Richepance débarque en Guadeloupe et désarme avec brutalité les militaires de couleur. Louis Delgrès, un chef de bataillon, fils d’un haut fonctionnaire blanc et d’une mulâtresse,  décide de résister. Le 10 mai 1802, il fait afficher une proclamation, rédigée par un blanc créole de la Martinique Monnereau. Ce texte affirme que « la résistance à l’oppression est un droit naturel ». Le 28 mai 1802, Louis Delgrès face à des troupes trois à quatre fois plus nombreuses, se fait exploser avec 300 compagnons dans son camp retranché de Matouba (Saint-Claude, Guadeloupe). Le 16 juillet 1802, Bonaparte décide de rétablir l’esclavage pour la seule Guadeloupe. Le 17 juillet 1802, les hommes de couleur libres avant l’abolition perdent le droit d’être citoyen. La situation est alors encore instable à Saint-Domingue. À l’annonce du rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe, une nouvelle révolte éclate à Saint-Domingue, dirigée par Dessalines, le second de Toussaint Louverture. Elle aboutit à l’indépendance de la partie française de Saint-Domingue qui prend le nom d’Haïti, ancien toponyme amérindien de l'île, le 1er janvier 1804.

Frédéric Régent

Maître de conférence à l’université Paris I et directeur de recherche
Conseiller scientifique du Mémorial national en hommage aux victimes de l'esclavage

Les colonies françaises et l’esclavage, 1789-1804

 

Des colons français commencent à utiliser des esclaves comme main-d’œuvre dans les années 1620 aux Antilles, puis vers1660 à la Réunion (île Bourbon). On peut estimer à 4 millions, le nombre d’esclaves ayant vécu dans l’ensemble des colonies française,  la moitié étant née en Afrique avant d’être transportée par des navires négriers dans les colonies, l’autre moitié y étant née. Ces esclaves produisent du sucre, du café, du coton, de l’indigo, du cacao.

En mars 1685, les obligations des maîtres pour les Antilles françaises sont fixées par un Édit que des éditeurs parisiens publient sous le nom de Code Noir en 1718. Le maître doit nourrir, soigner et vêtir son esclave. Il peut vendre, louer ou donner son esclave. L’esclave doit être baptisé dans la religion catholique romaine. L’esclave n’a pas de droits civils et ne peut se marier qu’avec l’autorisation de son maître. Il ne peut rien posséder, ni passer de contrat. L’esclave est pénalement responsable des délits et des crimes qu’il commet. C’est souvent le maître qui le juge et le punit en le faisant fouetter ou enchaîner. Mais les maîtres n’ont pas le droit de mutiler ou de tuer les esclaves. Dans la pratique, certains maîtres ont recours à des traitements particulièrement atroces, épuisant leurs esclaves au travail ou ne les nourrissant pas assez. Les tribunaux royaux peuvent condamner les esclaves à la peine de mort, à des mutilations (oreilles ou jarrets coupés) et au marquage au fer rouge.

Dans les colonies françaises, la société est divisée en trois catégories juridiques : les gens « réputés blancs », les libres de couleur (majoritairement métissés, mais aussi noirs) et les esclaves (très majoritairement noirs, mais aussi des métissés). Les libres de couleur subissent le préjugé de couleur. Ils ne peuvent accéder à tous les emplois (officier, médecin, avocat…) et payent davantage d’impôts.

Population des colonies du royaume de France

 

Colonie

Année du recensement

Blancs ou réputés tels

Libres de couleur

Esclaves

Saint-Domingue (Haïti)

1789

30 831

27 548

434 429

Guadeloupe

1789

13 969

3 125

89 823

Martinique

1789

10 635

5 235

81 130

Sainte-Lucie

1788

2 159

1 588

17 221

Tobago

1788

425

231

12 639

Guyane

1789

1 307

494

10 748

Île de France (Île Maurice)

1788

4 457

2 456

 37 915

 

En 1774, dans la seconde édition de l’Histoire des deux Indes, ouvrage coordonné par l’abbé Raynal, Diderot condamne l’esclavage comme opposé au droit naturel. Selon lui, « il ne manque aux nègres, qu’un chef courageux, pour les conduire à la vengeance et au carnage ». En 1788, la Société des Amis des Noirs est fondée. Elle milite pour l’abolition immédiate de la traite et pour une abolition progressive de l’esclavage.

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Source: Jean-Marc Ayrault et Frédéric Régent