Les matériaux de construction et de démolition dans les métropoles


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Réduire, Réutiliser, Recycler, Revaloriser
Mis à jour le mardi 28 novembre 2023

Réduire, Réutiliser, Recycler, Revaloriser

Les matériaux de construction et de démolition dans les métropoles

Les travaux d’Agnès Bastin méritent d’être reconnus et diffusés ; sa thèse de doctorat en Etudes urbaines sous la direction du géographe Eric Verdeil - Institut d’Etudes Politiques Paris 2022 - (« Des métabolismes territoriaux en transformation ? Gouvernance des matériaux de chantier et expérimentations de nouvelles valorisations en Île-de-France et dans la région de Bruxelles ») font l’objet d’une analyse fine par Brigitte Guigou et Claude Lacour dans la livraison de novembre 2023 de Métropolitiques .

Un constat

« Les matériaux de construction et de démolition contribuent fortement à l’empreinte de l’aménagement : chaque année, plus de 20 millions de tonnes de terres excavées sortent des chantiers situés en Île-de-France. Pourtant, leur gouvernance fait encore l’objet d’une faible attention des chercheurs et des élus. La rareté des études sur ce sujet tient à une pluralité de facteurs : les pouvoirs publics n’ont pas de compétence directe en la matière, les flux sont gérés par une myriade d’acteurs privés, les déchets de chantier, décharge et démolition ne sont pas des sujets « nobles » mais sont, au contraire, associés aux nuisances, à la pollution, à la saleté, au bruit ou au trafic de camions dans les villes. »

Retenons quelques  temps forts de l’analyse de cette thèse :

La « circularité »

« Depuis les années 2010, les enjeux de circularité sont à l’agenda : plusieurs textes réglementaires posent des objectifs de réduction de consommation des ressources et de « circularisation » des flux en matière de (dé)construction, suivant la voie initiée par la Directive européenne déchets en matière de droit de l’environnement (2008), par le Grenelle de l’environnement (2009-2010) et par la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (2015). Un « référentiel émergeant de l’action publique » (p. 205) s’esquisse que la thèse décortique avec précision. L’analyse des « métabolismes urbains » (ensemble des flux d’énergie et de matière mis en jeu par le fonctionnement urbain – Barles 2002, Bourdin et Maillefert 2020) permet de voir la façon dont l’économie circulaire contribue effectivement à la « réduction et [à] la meilleure répartition des déchets pour épargner les ressources naturelles » (définition de l’Ademe – Dermine-Brullot et al. 2017). »

Les expérimentations « Cycle Terre » à Sevran et ZIN à Bruxelles

« Deux dispositifs sociotechniques alternatifs sont analysés, sous l’angle de la recomposition des filières d’approvisionnement et de gestion. L’expérimentation « Cycle Terre » à Sevran (Seine-Saint-Denis) teste la pertinence d’un modèle de production de terre crue à partir de terres excavées localement (chantiers de terrassement et du Grand Paris Express), en partant d’une question concrète : comment développer une filière intermédiaire entre l’industrie du béton-ciment, fortement carbonée, et l’artisanat qui l’est peu mais s’avère sous-dimensionné par rapport à l’ampleur des besoins ? L’expérimentation ZIN, opération de réhabilitation lourde d’une tour de bureau inscrite dans un projet immobilier privé situé dans les quartiers nord de Bruxelles, cherche à développer des pratiques d’aménagement alternatives aux démolitions.
Dans ce contexte, comment mettre en place les filières et ressources pour recycler des bétons de gravats dans des bétons de construction ? Comment réutiliser des débris de béton, de verre et autres matériaux du second œuvre dans la construction ?
 »

Les règles en vigueur et les réalités du lobbyng

« La thèse montre que des solutions fondées sur l’écoconception, le réemploi et le surcyclage existent mais qu’elles restent modestes et non généralisables. Passer d’une gestion linéaire où le matériau est un déchet à une gestion circulaire qui organise les flux pouvant conduire à des boucles reproductibles fermées suppose d’assurer « la territorialisation, la régulation spatiale des flux » (p. 323), qui mène vers plus de sobriété, moins de déplacements et moins d’émissions de gaz à effet de serre. Mais ces adaptations prennent du temps et supposent d’inventer des pratiques compatibles avec les règles en vigueur (sécurité, légalité, comptabilité). Outils, alliances, modes de coordination et de gestion des conflits doivent être repensés dans ces logiques circulaires

La thèse souligne aussi que la question des comptabilités (et des comptes d’exploitation des entreprises) est souvent évacuée alors que s’y jouent des jeux de pouvoir et des rapports de force essentiels : les relations entre matériaux, matières et société s’inscrivent dans des temporalités, des résistances et des dépendances de type réglementaire, culturel, informationnel des espaces, ainsi que dans les caractères de chaque ensemble urbain. S’il faut des principes et des visions, on ne peut ignorer que, suivant la formule, le diable est dans les détails, ici, dans l’écriture longue et délicate des projets de décrets, dans les négociations autour des réglementations et dans les réalités du lobbying.
 »

Un développement métropolitain différent

« Cette thèse produit des clarifications et des avancées dans les débats théoriques, des résultats originaux. Deux enseignements majeurs peuvent être soulignés.

1. En documentant de façon fine le fonctionnement et la gestion des flux de chantier dans deux contextes territoriaux métropolitains, cette recherche montre qu’il existe de nombreuses pratiques de valorisation internalisées, surtout prises en charge par les entreprises du bâtiment et des travaux publics. Elles vont du stockage au recyclage en matériaux secondaires, principalement pour la construction routière et les aménagements paysagers.

Les expérimentations montrent que les acteurs, et pas seulement les plus institutionnels, innovent, s’organisent et construisent des référentiels communs ou partagés qui portent des coopérations. Elles illustrent aussi « la complexité et les verrous réglementaires » qui entravent les dynamiques. Le passage des « déchets » aux « ressources », objectif des enjeux métaboliques, reste encore expérimental : il s’agit pour l’heure de « faire modèle », de rendre visible et possible des montages avec des financements et des opérateurs variés. L’analyse de « Cycle Terre », en Seine-Saint-Denis, illustre ces dynamiques : l’expérimentation participe bien à l’émergence d’une nouvelle politique de construction en terre crue qui s’appuie sur une hybridation entre filières consolidées et émergentes (et non sur leur mise en concurrence). Mais cette nouvelle filière du surcyclage ne risque-t-elle pas, à terme, de déstabiliser le modèle économique actuel ?

2. La thèse d’Agnès Bastin pose enfin des questions qui dépassent les cas observés et interpellent les fondements des politiques publiques face aux transitions métaboliques, aux ambitions de la circularité et aux enjeux d’acceptabilité citoyenne.

Les résultats des enquêtes montrent que, face à la montée du référentiel de l’économie circulaire, les pratiques des acteurs sont bousculées par les expérimentations, par la réglementation et par les documents de planification urbaine ou thématique (par exemple le plan régional de prévention des déchets ou les schémas d’économie circulaire). Les recompositions en cours posent des questions de coordination entre territoires et entre niveaux de territoires, dont les réponses diffèrent. « En Île-de-France, l’échelle régionale demeure une échelle de régulation importante. Cependant, d’autres échelles de régulation émergent, principalement métropolitaine (zone dense de l’agglomération) et intercommunale » (p. 319). À Bruxelles, « l’absence de gouvernance métropolitaine conduit à la mise en place de politiques d’économie circulaire qui vont dans le sens […] d’un système régional de gouvernance des matières mobilisées par l’aménagement urbain » (p. 269).

La thèse éclaire enfin les inégalités spatiales qui existent dans les circuits des flux entrants et sortants des villes. Elle propose des pistes pour les réduire, pour créer de nouveaux emplois dans des territoires, et reposer plus largement les bases d’un développement métropolitain différent. Les nécessités des démolitions et des excavations pourraient permettre des dynamiques vertueuses, plus écologiques, plus sobres, tout en étant socialement acceptables et économiquement possibles, voire demain, rentables. Mais ce travail souligne aussi le défi que représente cette transformation : elle engage une façon différente de regarder la conception et la mise en œuvre des choix politiques»

Grand prix 2023 organisé par le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) et l’Association pour la Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement Urbanisme (APERAU Internationale),
le Prix de thèse sur la ville a pour objet de récompenser les meilleures thèses de doctorat soutenues en France ou à l’étranger, rédigées en langue française 
Le jury du Prix de Thèse sur la Ville PUCA/APERAU, présidé par Claire LEVY-VROELANT, a primé Agnès BASTIN pour sa thèse de doctorat en études urbaines “Des métabolismes territoriaux en transformation ? Gouvernance des matériaux de chantier et expérimentations de nouvelles valorisations en Île-de-France et dans la région de Bruxelles”,

Source: Metropolitiques - novembre 2023
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