Les peines d’inéligibilité et la présomption d’innocence


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L’exécution provisoire des peines d’inéligibilité
Mis à jour le lundi 13 janvier 2025

Observatoire de la vie politique et parlementaire - janvier 2025
NOTE
L’exécution provisoire des peines d’inéligibilité et la présomption d’innocence

Le 18 décembre 2024, la Cour de cassation a rendu un arrêt important relatif à l'exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité, en refusant de transmettre une qpc au Conseil constitutionnel ; il s’agissait du pourvoi de l’ancien maire de Toulon, Hubert Falco.
Neuf jours plus tard, le 27 décembre, le Conseil d’Etat, en revanche, a transmis au Conseil constitutionnel une qpc sur le même sujet concernant l’inéligibilité - sur ordonnance d’exécution provisoire - d’un conseiller municipal de Dembéni (Mayotte).

- En pièce jointe de cette note, le blog de Me Eric Landot, avocat de droit public et des collectivités territoriales, approfondit le débat qui intervient à quelques semaines du jugement attendu relatif aux « assistants parlementaires européens» du parti présidé par Marine Le Pen. Le calendrier est très serré puisque le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision dans les trois mois, soit le 27 mars 2025 au plus tard.

- Le calendrier du Conseil constitutionnel est lui-même un peu bousculé au cours de ce premier trimestre 2025 ; la qpc transmise par le Conseil d’Etat sera-t-elle examinée par l’actuel Conseil ou au contraire par le nouveau après les « entrées en fonction » de trois nouveaux membres attendues début mars 2025 ?
Notons qu’Alain Juppé est le seul membre du Conseil à avoir été condamné à une peine d’inéligibilité (cour d’appel de Versailles le 1er décembre 2004, dans l’affaire dite des « emplois fictifs de la mairie de Paris »). Y aura-t-il « déport » de l’ancien Premier ministre dans la décision à prendre…auquel cas celle-ci sera soumise aux seuls huit autres membres du Conseil ?

- Les lois du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique et du 15 septembre 2017 sur la moralisation de la vie publique ont permis aux juges, en une dizaine d’années, de condamner sévèrement les infractions portant atteinte à la moralité publique ; l’inéligibilité, peine complémentaire, rappelle à l’élu qu’au-delà des infractions commises, ce sont ses  manquements à sa probité de personne chargée de l’autorité publique que la justice veut aussi clairement sanctionner.

- Dans les « affaires » retenues pour notre présente « note », les motifs des poursuites concernent :
corruption, trafic d'influence, prise illégale d’intérêt, favoritisme, recels de biens sociaux, corruption passive, détournements de fonds public, fausses factures, abus de faiblesse, blanchiment et recel, abus frauduleux de confiance, soustraction, détournement de biens publics, destruction de biens d’un dépôt public…mais aussi soustraction d’espèces dans des caisses de services communaux ou sociaux, falsification de chèque et vol, emplois fictifs, agression sexuelle,

- Rappelons que l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité induit pour les collectivités des changements profonds dans leur organisation dès la publication de l’arrêté préfectoral actant la démission d’office : nouvelle élection d’un maire, parfois d’adjoints ou de présidences de commission et de redistribution de délégations, sans oublier les mêmes effets sur les intercommunalités ou d’autres organes délibérants.

- Dans l’étude précitée d’Eric Landot, celui-ci rappelle de nombreuses décisions de justice relatives aux inéligibilités. Nous avons cru opportun de donner un aperçu complémentaire de ces derniers mois (2023/2024) pour montrer que l’exécution provisoire n’est pas exceptionnelle mais relativement suivie après les réquisitions du parquet.

Dans l’inventaire ci-dessous, les condamnations à des peines privatives de liberté avec ou sans sursis et les amendes ne sont pas mentionnées ; seules les peines complémentaires d’inéligibilité sont retenues.

Quelques applications récentes de l’exécution provisoire

- Philippe Cochet, maire de Caluire-et-Cuire, ancien député, condamné le 11 décembre 2024 par le tribunal judiciaire de Paris à cinq ans d’inéligibilité,
- François Oneto, maire d’Ozoir-la-Ferrière, et Sinclair Vouriot, maire de Saint-Thibault des Vignes, condamnés, le 24 octobre 2024, à cinq ans de privation des droits civiques dans l’affaire dite « France Pierre et Gardère - arrêtés préfectoraux du 25 novembre
- Fabien Kees, maire de Dannemois, condamné à dix ans d’inéligibilité, le 2 octobre 2024 par le tribunal d’Evry-Courcouronnes  arrêté préfectoral du 25 octobre
- Sabine Lespagnol, maire de Mespuits, condamnée à dix ans d’inéligibilité, le 6 septembre 2024 par le tribunal d’Evry-Courcouronnes - arrêté préfectoral du 1er octobre
- Bernard Pancrel, maire de Saint-François et conseiller régional, condamné à dix ans d’inéligibilité le 2 juillet 2024 par le tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre - arrêté préfectoral du 5 juillet
-
Hosny Trabelsi, conseiller départemental du Finistère et conseiller municipal de Brest, condamné à trois ans d’inéligibilité par le tribunal de Brest - arrêté préfectoral du 2 juillet
- André Thien AH Koon (TAK), maire du Tampon, condamné à cinq ans d’inéligibilité dans l’affaire  de « la spl Sudec » par la cour d’appel, le 23 mai 2024 - arrêté préfectoral du 13 juin 2024
- Hubert Falco, maire de Toulon condamné en avril 2023 et mai 2024 (appel) à cinq ans  d’inéligibilité dans l’affaire dite des « frigo » - arrêté préfectoral du 19 avril 2023

Le tribunal ne suit pas toujours la réquisition d’« éxécution provisoire »

- Pour Max Mathiasin, député de Guadeloupe, condamné le 19 novembre 2024, la peine d’inéligibilité avec exécution provisoire requise lors du procès, le 22 octobre n’a pas été retenue par le tribunal de Pointe-à-Pitre.
- Damien Castelain, président de la métropole européenne de Lille, condamné le 2 juillet 2024 par le tribunal de Lille à cinq ans d’inéligibilité sans application immédiate- la procureure avait requis, le 11 juin l’exécution provisoire.

Sans « exécution provisoire » mais démission sous la contrainte d’élus

La démission, le 6 décembre 2024 du président du conseil départemental de la Somme, Stéphane Housselier, condamné à trois ans d’inéligibilité par le tribunal d’Amiens le 3 décembre est l’un des exemples de la géométrie très variable du principe de la présomption d’innocence. Le tribunal prononce - outre peine privative de liberté avec sursis et amende -une inéligibilité d’une durée de trois ans…mais sans exécution provisoire ; le président en déduit dans une interprétation hasardeuse et très personnelle que « les juges ont ainsi estimé que je pouvais continuer à exercer mes mandats » et de plaider la présomption d’innocence jusqu’au jugement d’appel en refusant de démissionner ou de se mettre en retrait.
C’était sans compter sur la réaction de quatorze élus de la majorité départementale dont trois vice-présidents démissionnaires et une présidente de commission enjoignant le président départemental à démissionner.

Réquisitions sans « exécution provisoire »…ou la « deuxième chance »

- Yves Michel, maire de Marseillan, condamné à deux ans d’inéligibilité par le tribunal de Béziers, le 20 décembre 2024 (trois ans requis le 22 novembre)
- Djénéba Diaby, adjointe au maire de Neuilly-sur-Marne, condamnée à cinq ans d’inéligibilité le 5 septembre 2024 par le tribunal de Bobigny - délégations retirées dès le 6 septembre par le maire de Neuilly-sur-Marne

Inéligibilité prononcée à la demande de la partie civile

Dans l’affaire Ary Chalus, président de la région Guadeloupe, le procureur du tribunal de Basse-Terre n’avait pas requis, le 13 octobre 2023, une peine complémentaire d’inéligibilité ; en revanche le tribunal a suivi, le 12 janvier 2024, la demande de la partie civile et prononcé une inéligibilité de deux ans

Source: Observatoire de la vie politique et parlementaire
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